Légende de Spilerman

Longtemps, les Dieux Eternels avaient habité le cœur des Hommes.
Longtemps, ils avaient comblé en eux le vide existentiel propre aux Mortels.
La conscience de l’infinité du Temps et de l’Espace représentaient pour les humains des perspectives bien trop accablantes. Face à ce vertige, seule la Foi pouvait les apaiser.
Ainsi les Hommes acceptaient leur condition et se pliaient aux lois immuables du Cosmos.
Ainsi ils étaient égaux et humbles devant les Dieux.

Or il advint que leur croyance s’étiola et se dissipa peu à peu à mesure que grandissait leur frustration, leur soif de liberté et de pouvoir. Dès lors, les Eternels perdirent peu à peu leur emprise sur l’âme des Hommes.
Brandissant leur libre-arbitre tel un étendard, ceux-ci s’engagèrent sur le Chemin de l’Oubli.
Car ils n’avaient point acquis par eux-même la maîtrise de leur Destinée. La liberté de choisir était en réalité le don le plus précieux fait aux Hommes par leurs Dieux, aux Temps Archaïques. Les Eternels savaient que ce don pouvait signifier la fin de leur immortalité, puisqu’ils scellaient de la sorte leur destin à la foi des Mortels.
Durant les 736 années de la Guerre de l’Oubli, les Hommes déconstruisirent donc le rempart de la Foi que les Eternels leur avaient érigé.

Pareils à des démons affolés, ils s’arrachaient les Dieux de la tête à coup de doute et de raison. Tout les objets du Culte des Eternels furent brisés, enfouis, brûlés. Jusqu’au Grand Livre de la Mémoire, réduit en poussière.
Et alors même que leurs Dieux s’éteignaient doucement en leur fort intérieur, les malheureux Mortels consumaient déjà leur liberté nouvelle dans le feu de la folie, s’entredéchirant pour le pouvoir dans d’interminables et sanglantes luttes intestines. Très vite, le conflit gagna presque tous les royaumes.

Cependant, les Eternels, bien que magnanimes, étaient également avisés, et ils avaient pris avant de succomber les dispositions nécessaires à leur salut. Dans leur dernier soupir, Ils insufflèrent en certains Hommes la Mémoire, la Nostalgie et la Révolte, ainsi qu’une part de leurs pouvoirs.
L’un de ces hommes était appelé Spiller parmi les siens. Ce nom signifiait « Celui qui répand », mais ce qu’il répandait n’était pas le sang de ses semblables, car il était barde et poète. Il était le Passeur de parole, Interprète du langage silencieux des plantes et des souffrances de la terre, Messager des astres. Depuis le début de la guerre, ses chants se faisaient graves et mélancoliques. Mais son influence était minime car il vivait reclus avec un peuple de mineurs de fond, sur une planète en bordure de la galaxie. Profundia, car telle était son nom, était l’un des seuls recoins de l’univers où la rumeur des combats n’était pas parvenue.

Ce que Spiller entendit – ou plutôt ressentit – la nuit où le Livre de la Mémoire fut détruit, dépassait son entendement. Cependant il pressentait que son destin s’en trouverait à jamais modifié. Car c’est ainsi que les Eternels l’avaient choisi, comme d’autres en d’autres lieux, pour porter le Grand Secret et revenir incarner leur colère au Jour du Jugement.
Terrorisé par la puissance nouvelle qui l’avait investie, il partit s’isoler sur le plus haut plateau de la région la plus reculée de Profundia. L’endroit était balayé par les vents. Durant trois jours et trois nuits, lové dans un petit cratère, Spiller agonisa et crut devenir fou. Des plumes lui poussaient et déchiraient ses chairs ; quant à son esprit, il était la proie de visions mystiques trop abondantes pour être assimilées. A l’aube de la troisième nuit, il s’éleva malgré lui dans les airs, et tandis que le Soleil inondait peu à peu le plateau d’une lumière rasante, il vit la terre se mettre à trembler, et contempla désespéré les secousses terrifiantes engloutir tout son peuple dans les mines et les vallées, qui devinrent autant de tombeaux cyclopéens. La nuit suivante, une voix cosmique, très claire cette fois, résonna en lui :
Spiller tu étais. Spilerman tu seras.
Car jamais tu ne devras répandre ce que tu sais.*
Et le souvenir de l’homme que tu fus, tu dois le conserver à jamais.
Telle est la volonté du Dieu qui t’incarne et te transcende désormais.
Ici, tu seras seul, maître sous terre et dans les airs, et tu attendras.
Ailleurs, d’autres aussi porteront le Grand Secret, et ils attendront.
Au Jour du Jugement, tous émergerez de vos retraites. Et tous unirez vos pouvoirs pour redonner aux Mortels la place qu’ils méritent.

Spilerman demeura seul et totalement isolé sur Profundia durant un temps que nul témoin ne put compter, attendant patiemment mais non sans crainte la venue du Jour du Jugement.
Ne pouvant demeurer oisif dans sa solitude, Spilerman se prépara longuement au Jour du Jugement. Il rebaptisa sa planète Spilermania pour se donner fierté et courage, et se mit au travail. Il déblaya les mines les moins endommagées, les remit en marche, et fondant les roches métalliques de son seul regard, il édifia à flanc de montagne une usine de construction. Ainsi, il put bâtir une flotte de vaisseaux sans pilote qu’il commit l’erreur de laisser en orbite une nuit où il creusait des excavations dans les profondeurs.

Pendant ce temps, à la surface, une escadrille de sondes spatiales s’affairaient à relever les divers signes d’activité présents. Pressentant une intrusion, Spilerman remonta en flèche des entrailles de Spilermania… Trop tard.
Il ne put qu’assister impuissant à la destruction de sa flotte. Il redouta d’avoir été découvert par quelque groupe mortel armé et craignit pour la sauvegarde de son secret.
C’est alors qu’une sonde de protocole vint lui porter ce message holographique :
Je suis Karl Marx, Souverain de la Planète Octobre Rouge et Chef de Guerre de l’alliance intergalactique des Children of the Gods. Je réquisitionne votre planète sur le champ pour en faire une colonie minière. Vous n’avez plus de flotte. Je vous suggère de quitter les lieux immédiatement. Un module rapide peut vous être fourni pour rejoindre l’une des planètes de ce système et transmettre ce même message à vos semblables.

Quelque peu déstabilisé par le ton ferme du Général Marx, Spilerman était surtout intrigué par le nom de l’alliance à laquelle il disait appartenir. D’autre part, le Général avait utilisé le mot « semblables » pour qualifier les habitants des planètes voisines.
C’en était trop pour Spilerman. Au risque d’attirer l’attention d’un simple Mortel, il implanta à la sonde un message de menaces et la renvoya…

Karl Marx fut médusé lorsque celle-ci dévoila la réponse :
Je pense que vous usurpez et souillez le nom des Dieux par votre blason. Je vous suggère une toute autre option : je vais vous faire regagner la place que vous méritez.
Aucun doute n’était plus permis. Il venait de trouver un frère !
Il invita alors Spilerman à le rejoindre à bord car il semblait digne de la Mémoire des Eternels :
Joignez-vous à moi, je vous mènerai à notre Général en Chef, Freespectrum, car je ne doute pas que vous ayez l'étoffe d'un Dieu et il souhaitera certainement vous rencontrer.

Découvrant leur apparence mutuelle, Spilerman et Karl Marx surent avec certitude qu’un même destin illustre les unissaient. L’un était tout couvert de plumes, et son regard paraissait traverser l’Espace et la Matière. L’autre était d’une stature sans pareil, et la force qui émanait de tout son corps semblait contenue par une sagesse insondable.

Activant la propulsion hyperespace, ils mirent le cap sur Nox, retraite de Freespectrum, personnage énigmatique, qui fit bon accueil à ce nouveau frère divin que la Providence avait permis de retrouver :
Bienvenue parmi les tiens, Spilerman. Longs ont été l’isolement et l’attente pour chacun d’entre nous. Mais sache que tu es ici en ta demeure et que dès à présent, nous nous attèlerons à remettre de l’ordre dans le chaos que les Mortels ont instauré. Bois cette Koriktchatcha, et sois des nôtres à jamais!
Merci à vous mes frères retrouvés, Enfants Terribles, Enfants Divins. Je lève mon verre à votre accueil chaleureux.
Je fais allégeance à votre blason et je ferai honneur à la Mission qui est la nôtre, pour que puisse à nouveau régner la paix dans l'univers.



*[HRP]Dans le texte en jaune, on aurait pu rajouter "et tu y laisseras un L car deux ailes tu as gagné". Mais c'est un peu tiré par les cheveux, non? :wink: [/HRP]

Trés trés sympa